Dioxines et furanes. Seveso, sinistre mémoire. Des mots qui font frissonner tant ils évoquent des catastrophes lourdes en pertes humaines. Pourtant, dioxines et furanes font l’actualité de la ville de Lausanne, qui en a retrouvé dans l’analyse récente de ses sols. Bien trop. Comment est-ce possible qu’une telle pollution n’ait pas été perçue avant cette année ? Est-ce un cas isolé ? Pour l’instant, les autorités peinent à répondre car, disons-le clairement, elles ne s’en sont que peu soucié jusqu’à maintenant, surtout dans les cantons romands. La qualité des sols est le parent pauvre de la politique environnementale et ceci malgré le fait que, dans ce cas précis, nous parlons avant tout de notre santé.
Des places de jeu contaminées ? Des légumes cultivés localement bons à jeter ? Ces exemples sont devenus réalité à Lausanne, mais pourraient bien l’être aussi dans d’autres cantons romands. Car si l’article 4 de l’Ordonnance sur les atteintes portées aux sols (OSol) demande en effet une surveillance des sols de la part des cantons, en Suisse romande, seul le canton de Fribourg a réellement initié la démarche.
Le Canton de Neuchâtel devra lui emboîter le pas pour donner suite à une motion acceptée récemment par le Grand Conseil. Le chef du Service de l’environnement et de l’énergie du canton de Neuchâtel semble peu inquiet des résultats des analyses lausannoises, ceci bien que le sol neuchâtelois n’ait pas encore été investigué. Son optimisme sera-t-il confirmé ? Entre un passé industriel et une usine d’incinération présente depuis de nombreuses années sur son territoire, la ville de la Chaux-de-Fonds pourrait bien ne pas être épargnée. D’autres communes pourraient également présenter des surfaces polluées. Les résultats du canton de Fribourg le confirment: l’âge des jardins joue un rôle quant à la qualité des sols. Alors dioxines et furanes à Neuchâtel ou uniquement métaux lourds et hydrocarbures ? On a hâte de le savoir.
Actuellement, les pollutions de sol sont gérées essentiellement par deux ordonnances : l’ordonnance sur les sites contaminés (OSites) qui traite des pollutions en lien avec une activité industrielle alors que l’ordonnance sur les atteintes portées au sol (OSol) traite des pollutions diffuses. Toutes deux découlent de la loi sur la protection de l’environnement (LPE). Dès son introduction, l’OSites avait des objectifs clairs et elle a vite été accompagnée de moyens financiers pour inciter les cantons à prendre la thématique en main. Ainsi l’OSites a réussi à faire avancer de manière générale la question de la gestion des sites pollués en Suisse, mais le constat n’est pas le même quand des sols sont touchés.
Jusqu’à maintenant, la problématique des sites pollués s’est concentrée principalement sur les eaux souterraines. Un choix délibéré ? Pas vraiment. C’est surtout par manque d’intérêt, de moyens, de ressources humaines, ou peut-être parfois par manque de connaissances, que la problématique peine à avancer. Même constat quand on se tourne vers le bilan de la mise en œuvre de l’OSol: un cadre légal existant, mais dont un grand nombre de cantons de Suisse romande fait tout simplement fi.
Une révision de la LPE est en cours de consultation, mais telle que proposée et même si elle va dans le bon sens, j’affirme qu’elle ne va pas assez loin. Certes, on compte assainir les places de jeux pour jeunes enfants grâce à des moyens tout spécialement débloqués pour l’occasion. Un premier pas. Pourtant, des inégalités de traitement persisteront, ou même s’accentueront, si cette révision devait entrer en vigueur. L’incitation à assainir serait plus grande sur les parcelles publiques. Les propriétaires privés pourraient bénéficier d’aides, mais vont-ils faire les démarches s’ils n’habitent pas sur les parcelles concernées ? Questions importantes quand le but de ces analyses est de connaître l’état de la pollution, pour ensuite prendre les mesures qui s’imposent.
Les mesures, de manière générale, diffèrent malgré tout d’une ordonnance à une autre. En effet, un dépassement des valeurs limite – pourtant les mêmes – n’a pas les mêmes conséquences si la pollution est considérée comme étant diffuse ou en lien avec un site pollué. La source de la pollution influe ainsi sur les mesures à prendre, alors que la pollution elle-même aura un impact identique sur la santé des enfants ou sur la qualité des aliments dans notre assiette. Actuellement, si une pollution dépasse les valeurs limites et qu’elle provient d’une pollution diffuse, elle ne nécessitera pas d’assainissement alors que si elle provient d’un site pollué, cela sera exigé. Une incohérence crasse qui n’encourage pas à détecter les pollutions diffuses.
Et dernier élément problématique, et non des moindres: les valeurs limites de certaines substances sont trop élevées. Sur la base de réflexions du Centre Suisse de Toxicologie Humaine Appliquée (CSTHA), une révision de l’OSites avait été initiée avec comme objectif d’abaisser les valeurs limites du plomb et des hydrocarbures aromatiques polycycliques pour les surfaces de sols où les enfants jouent régulièrement. Les valeurs limites proposées permettaient d’être au niveau des valeurs utilisées en comparaison internationale et d’ainsi de permettre une meilleure protection de la santé chez les jeunes enfants notamment. Mais actuellement la consultation de la révision LPE ne les mentionne pas et ne garantit pas une suite à ce dossier. Ceci malgré un engagement pris sur cette thématique par le Conseil fédéral à plusieurs reprises, lors d’interventions parlementaires.
Il est temps que les autorités prennent leurs responsabilités, que cela soit au niveau fédéral ou cantonal, et qu’elles examinent de manière approfondie l’état de la qualité des sols. La population est en droit de savoir sur quel sol grandissent les enfants et sont cultivés une partie des aliments qu’elle consomme.
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